Un fin rayon de lumière filtrait à travers les lattes de son enclos. Ce dernier était si étroit que ses flancs reposaient contre les parois et si court qu’il ne pouvait ni avancer, ni reculer, sans parler de se coucher…
Peinant à respirer par cette chaleur étouffante, il se léchait régulièrement le museau pour tenter de récupérer quelques gouttes d’humidité. Les clameurs de la foule résonnaient en un grondement continu, effrayant, entrecoupé de « Olé !!! » qui le faisait sursauter.
Sa nervosité grandissait, frustré de ne pouvoir ruer pour se libérer de cette cage en bois, de ne pouvoir bouger d’un pas.
Un claquement retentit derrière lui, sans qu’il put en déterminer la source et la luminosité augmenta quelque peu.
Soudain, une douleur fulgurante envahit sa cuisse gauche, lui arrachant un meuglement désespéré et la porte s’ouvrit, béante, laissant pénétrer une lumière aveuglante.
Il profita de cette occasion pour se propulser à l’extérieur, laissant sa rage si longtemps contenue s’exprimer, soufflant et ruant, le regard fou.
La foule hurlait de plus belle, tout autour de lui, sans qu’il ne comprenne rien à ce qu’elle tentait de lui dire.
Mais l’énergie qui l’habitait ne semblait vouloir se dissiper, il voulait détruire quelque chose, avait besoin de sentir une résistance pour l’anéantir.
Il tournait, ruait, cherchant un obstacle lorsqu’il aperçut quelque chose qui s’agitait au loin. La cible parfaite. Un humain. Un bourreau. Un monstre.
Et il chargea, forçant ses pattes puissantes à projeter son corps vers l’avant, gagnant en vitesse à chaque mètre parcouru, soulagé d’avoir enfin un objectif vers lequel orienter sa rage.
Plus que quelques mètres.
Soudain, la moitié de sa cible sembla s’évanouir dans l’air, disparaissant sans laisser de trace. Instinctivement, il bascula légèrement sur la droite pour tenter d’accrocher le morceau qui restait.
Deux choses arrivèrent simultanément : D’abord, quelque chose s’enfonça entre ses omoplates, diffusant une onde de douleur dans sa colonne vertébrale. Puis sa corne droite accrocha l’humain, qui poussa un hurlement de douleur. Le poids soudain sur sa tête firent saillir les muscles de son cou, sans toutefois le ralentir.
Fou de rage, il secoua la tête, sentant le corps de son bourreau se trémousser pour tenter de se dégager, frappant son front de ses petits poings ridicules.
Il le jeta à terre, tel un vulgaire sac et le piétina allègrement sentant les os se briser sous ses sabots tandis que le sang du monstre se répandait sur le sable brûlant.
D’autres humains s’approchaient maintenant, lentement en agitant des morceaux de tissu. Mais il était calmé, et ivre de satisfaction d’avoir annihilé son pire cauchemar, il se préparait à renouveler l’opération.
Il recula, pas à pas, doucement, sans quitter les animaux des yeux tandis qu’ils avançaient vers lui. Au bout d’une minute de cette petite danse, les humains étaient tous regroupés en face de lui, murmurant quelques paroles apaisantes pour l’amadouer.
Parfait. Il chargea à nouveau. Plus que leurs cris de panique, ce fut leurs mines ahuries qui lui réchauffèrent le cœur.
Deux d’entre eux s’empalèrent sur ses cornes, un autre s’accrocha à sa tête pendant quelques secondes avant de lâcher prise et de passer sous ses sabots, broyé.
Il fit demi-tour, en secouant la tête de gauche à droite, sentant les chairs se déchirer sur ses cornes, enivré par l’odeur du sang.
Et il chargea encore. Deux d’entre eux tentaient de se relever pour fuir. Il en empala un par les côtes et piétina la colonne vertébrale de l’autre.
Il s’arrêta finalement, haletant, pour contempler le carnage dont il était l’auteur.
La foule était silencieuse, enfin…
Il ne connaissait pas les règles des humains, mais selon ses propres critères, il semblait qu’il sortait vainqueur de cette rencontre…
"_ Mr Bruti, en tant que président français du club d’organisation des Corridas, qu’avez-vous à dire sur ce drame ?
_ Hé bien, ma foi, nous sommes tous consternés par la tournure des événements, et une enquête a été ouverte pour mettre en évidence les failles liées à la sécurité et nommer les coupables.
_Que va devenir le taureau ?
_ Nous allons devoir l’abattre, il est manifestement beaucoup trop agressif pour participer à ce genre d’événements. Vous savez, tous les taureaux sont différents. C’est comme si certains d’entre eux parvenaient à comprendre les règles de la corrida et la noblesse de ce sport. D’autres n’obéissent à aucune règle, et les accepter dans une arène ne ferait que mettre en danger les toreros. Il est difficile de trouver un taureau qui puisse à la fois donner un beau spectacle et se soumettre au torero au moment propice pour se faire découper les oreilles.
_ Merci monsieur Bruti de bien avoir voulu vous exprimer sur le carnage de Carcassonne…"
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