José était recroquevillé sous ses couvertures, ne laissant que son nez dépasser, de manière à pouvoir respirer. Quelqu’un, quelque chose était là, avec lui, dans la chambre.
Il pouvait l’entendre gratter contre le mur. Son imagination dessina pour lui l’auteur de ces bruits.
Un monstre vert à la peau visqueuse, aux dents acérées, tapi dans l’ombre, prêt à lui sauter dessus pour le dévorer.
Le croque mitaine.
José, écoutait, attentif au moindre détail qui pourrait venir troubler le silence nocturne.
Soudain, un craquement retentit. Pris de panique, il se mit à hurler :
_Maman !!!! Papa !!!!!
Des bruits de pas dans le couloir, la porte s’ouvre, la lumière s’allume.
_ Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
_ Là ! Y a un monstre là !
_ Où ça ? Je vois rien.
_ Mais si, il est là, il gratte !
Il pointait le coin du mur du doigt, la tête enfouie dans son oreiller, n’osant regarder.
_ Mais non, y a rien, regarde ! Dit son père, tout en lui arrachant l’oreiller des mains.
José garda les yeux fermés, ne voulant pas faire face au monstre qui le hantait.
_ Ouvre les yeux, je te dis, y a rien ! C’est pas la peine d’hurler…
_ Je l’ai entendu.
_ Ca existe pas les monstres, c’est impossible, tu m’entends ? Ca existe pas.
Lentement, José entrouvrit un œil, puis l’autre, les posant d’abord sur ses parents qui le fixaient, sourire aux lèvres avant de se tourner vers le coin de sa chambre.
_ Tu vois ? Y a rien ? Pas de monstre. Impossible.
Impossible.
Deux jours ont passés, José éteint sa lampe de chevet, prêt à s’endormir.
Un craquement se fait entendre.
Le monstre ! Il est revenu !
José attrape le bord de sa couverture et le rabat sur sa tête, serrant de toutes ses forces. Les monstres n’existent pas. C’est pas possible. Pas possible.
Peu à peu, il parvient à repousser le monstre dans un coin de sa tête. Loin, tout au fond de son esprit. Pour l’enfermer, il construit une palissade, comme celle qui protège le chantier en bas de chez lui. Une haute barrière de bois, de deux mètre de haut. Personne n’est assez grand pour passer par-dessus, même la tête de son père ne la dépasse pas.
Mais il entend encore gratter. Il entend les griffes du monstre user le bois pour se frayer un chemin.
Alors, devant la palissade, il rajoute un mur, en béton, épais, comme dans la cour de l’école. Et sur cet enclos, qu’il a construit dans son esprit, il peint un mot, une formule magique qui enfermera le monstre pour toujours : « Impossible »
José a 10 ans maintenant. Il ne va pas tarder à aller se coucher mais ses parents le laissent regarder encore un peu la télé.
_ Après le journal, tu vas te coucher.
A la fin du journal télévisé, ils passent la bande annonce d’un film qui vient de sortir. Un film de vampires. Des monstres buveurs de sang qui sortent la nuit pour attaquer les gens.
Et José se retrouve seul dans sa chambre, la tête pleine de vampires. Il s’enfouit sous sa couverture en tentant de se persuader que c’est impossible. Que les vampires n’existent pas. Que ce n’est qu’un film. Mais ils sont là, autour de lui, dans sa chambre, attendant patiemment qu’il s’endorme pour le mordre et le transformer en l’un des leurs.
Il réunit alors tout son courage et les repousse dans un coin de sa tête, jusqu’au mur ou le monstre est enfermé. Les vampires, c’est impossible. Et il les jette par-dessus le mur.
Et tout au long de son enfance, il va enfermer tout un tas de choses derrière ce mur. Des zombies. Des fantômes. Tout un tas de monstres hideux qui tentent d’envahir son imagination. La magie. Les elfes. Les fées. Les sorciers. Les licornes.
Impossible.
Tout ce qui est impossible se retrouve derrière ce mur.
En cours, lors d’un exercice de maths, on lui demande de faire une division énorme, pleine de chiffres qui tournoient dans sa tête. Il essaie une fois…se trompe…recommence…La plupart de ses amis ont fini et sont déjà partis en récréation et plus il y pense, moins il arrive à réfléchir.
_ Oh, mais c’est pas vrai ! C’est impossible à faire ce truc, j’y arriverais jamais !
Et juste comme ça, il abandonne. Toutes ses possibilités de résoudre cette division se trouvent enfermées derrière ce mur. Avec les monstres.
Et José se dit qu’il est nul en maths. Et il le devient.
José a quinze ans maintenant. Assis dans la cour du collège, il ne cesse de regarder cette fille, une blonde magnifique.
A chacun de ses éclats de rire, son cœur explose. Il aimerait la prendre dans ses bras, la serrer fort. La couvrir de baisers.
Mais il n’ose pas aller la voir. Elle va se moquer de lui. Elle est trop belle. Et pis pourquoi elle l’aimerait d’abord ? Il n’a rien à lui offrir. Il ne l’intéressera jamais.
Mais il n’arrête pas de penser à elle. Le soir en fermant les yeux, il revoit son sourire, ses grands yeux bleus qui scintillent, qui l’obsèdent.
Elle ne voudra jamais de moi. C’est impossible.
Et juste comme ça, il abandonne. Il la repousse dans un coin de sa tête, derrière le mur . Et son amour avec.
José a 18 ans. Il tient la main de sa copine tandis qu’elle lui parle. Il est tourné vers elle mais ne la regarde pas, ne l’écoute pas, il regarde à travers elle.
Il ne ressent rien pour elle. C’est juste pour passer le temps. Pour le sexe. Elle ne l’intéresse pas.
José a 25 ans. Il vient de rentrer du travail. Il est fatigué, allongé sur son lit, mais n’arrive pas à dormir. Il laisse son esprit vagabonder. Il se demande pourquoi ses amis sont tous en couple alors qu’il est encore tout seul.
Il cherche, creuse, remonte dans ses souvenirs, fouille sa mémoire.
Et soudain, il se heurte à un mur. Un mur gigantesque. De plusieurs dizaines de mètres de haut. Et sur ce mur, juste un mot, gravé en lettres d’or : « IMPOSSIBLE ».
José reconnait ce mur, il s’en rapproche et pose sa main dessus, caressant les lettres dorées. Soudain son ventre se crispe, d’horribles crampes d’estomac le plient en deux sur son lit. Il se lève tant bien que mal et va vomir dans les toilettes.
Ce mur.
José a 40 ans. Il en a marre. Se sent seul. Ne sait pas quoi faire de sa vie. Elle n’a plus de goût. Ne l’intéresse plus.
Il se laisse gagner par la tristesse, la mélancolie, s’apitoie sur son sort. Son réveil vient de sonner mais il ne se lève pas. Pour quoi faire ? Il pense à la mort, à ce qu’il ressentira lorsque tout s’arrêtera. Sera-t-il enfin libéré ?
Et à nouveau, il laisse son esprit vagabonder. Il ne met pas longtemps à se retrouver face à ce mur, qui prend de plus en plus de place dans sa tête. Un mur gigantesque dont il ne voit plus la fin. Dès qu’il s’en approche, son estomac se contracte. Tout son corps se tétanise.
Impossible.
Mais José en a marre, il n’en peut plus de voir ce mur, ne veut plus être esclave de cet obstacle énorme qui se dresse sur son passage. Il veut le détruire. Il imagine une pioche entre ses mains et commence à l’attaquer.
Des voix retentissent dans sa tête.
_Tu n’y arriveras pas.
_ Ca marchera pas.
_Parce que tu crois vraiment que c’est aussi simple ?
Et il continue, sans relâche, de creuser ce mur dans sa tête. Sur son lit, son corps se convulse, secoué de tremblements mais il n’y fait pas attention. Toute son attention est concentrée sur la destruction de ce mur.
_Tu crois quoi ? Que tu vas y arriver comme ça ? Que tu es meilleur que tout le monde ?
_Tu t’es vu ?
Il avance peu à peu, des fissures apparaissent sur la surface. Des pierres énormes tombent tout autour de lui. Mais il continue.
Il se souvient de ce qu’il y a derrière le mur. Des monstres. Des vampires. Des zombies. Mais il continue.
Il se rend compte que toutes ses peurs sont derrière ce mur. Tout ce qu’il a jamais craint va se retrouver libre dans son esprit. Et il va devoir y faire face. Mais il continue.
Un pan entier de roche s’écroule derrière lui. Il n’a plus le choix. Il ne peut plus faire demi-tour.
Alors il continue.
Il creuse, creuse, dégageant les morceaux de pierre avec ses mains tout se préparant à faire face à ses démons.
Soudain, il frappe de sa pioche un caillou qui s’effrite en mille morceaux, laissant apparaître un puissant rayon de lumière qui lui réchauffe le visage.
Sur son lit, il inspire un grand coup. Comme s’il venait de passer 30 ans de sa vie en apnée.
Le mur se transforme tout à coup en poussière, puis disparaît. Seuls quelques grains flottent encore ici et là, sous la puissante lumière blanche.
Abasourdi, il tombe à genoux, étonné qu’il n’y ait finalement rien derrière ce mur qui prenait tant de place dans son esprit.
Et il comprend.
Rien n’est impossible.
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la
Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.