Dimanche 11h, Thoiry.
Robert attendait patiemment son tour dans la file de personnes postée devant l’école primaire. Il était prêt, fin prêt.
Petit dernier d’une famille comprenant cinq enfants, il n’était pas habitué à ce qu’on lui demande son avis sur quoi que ce soit. Aussi, lorsqu’une fois tous les cinq ans, l’ETAT lui demandait de participer à la prise de la décision qui allait définir le cours des cinq années suivantes, il prenait les choses très au sérieux.
Il avait minutieusement étudié l’état actuel de son pays, de la situation économique et géopolitique au budget du ministère des sports. Chaque candidat avait été examiné pour définir si leur programme, leur charisme, leur personnalité correspondaient à ce dont la France avait besoin.
A chaque élection, il prenait un congé sabbatique, abandonnant son poste d’expert comptable pendant six mois afin de se livrer à cet exercice. Il achetait les journaux étrangers, montait des tableaux comparatifs, lisait tous les avis d’experts, sans relâche, pour qu’au moment venu, il n’aie aucun doute sur la décision à prendre.
Et cette année, il voterait B.
Derrière lui, se trouvait Catherine.
Catherine avait reçu une éducation exemplaire. Ses parents lui avaient inculqué toutes les bonnes manières, le respect des traditions et l’amour du divin.
Pour elle, aucun doute. Elle voterait pour C, le seul candidat chrétien, qui avait promis de redonner son prestige à la principale religion française.
Puis venait Jacques.
Jacques était accompagné de sa femme et de ses beaux-parents. Tous allaient voter pour D. Sauf lui. Chaque dimanche, lors des repas de famille, il se devait d’acquiescer à toutes les déclarations grotesques d’ Yvon, son beau-père, le regard revenant régulièrement se fixer sur l’horloge, attendant que se terminent ses monologues critiquant la situation politique actuelle.
Plusieurs fois, il avait essayé, malgré les regards désapprobateurs de sa femme, de le contredire. Mais il était impossible de discuter, le repas dominical tournait inévitablement au festival d’insultes. Alors pour avoir la paix, Jacques faisait dorénavant semblant d’être d’accord.
Et même si son instinct lui dictait de voter pour D, il allait voter pour son pire adversaire. Seul, dans l’isoloir, il obtiendrait ainsi sa vengeance et pourrait savourer sa victoire, silencieusement, en glissant le bulletin contradictoire dans son enveloppe.
Derrière attendait Mélanie.
Mélanie était venue avec Carl, son copain. Il tenait absolument à voter pour soutenir son parti favori, et aider ainsi à débarrasser la France de tous ces étrangers qui leur volaient leurs emplois. Kevin voterait E. Mélanie, elle, voterait F, parce que E s’habillait vraiment trop mal et qu’elle ne voulait pas que son pays soit représenté par une personne qui soit fringuée comme un sac. Tandis qu’elle avait vu F dans un magnifique costume Armani en couverture de Paris Gala, et elle voterait pour celui qui avait le plus de classe.
Martin venait d’arriver avec son fils et poussa un soupir de découragement en apercevant la file interminable. Il avait bien l’intention d’apprendre à Maël comment accomplir son devoir de citoyen, lui expliquant que leurs ancêtres étaient morts en se battant pour obtenir le droit de vote, sans être tout à fait certain de la justesse historique de ces affirmations.
Il était même plus probable que ses ancêtres soient morts pour leur de rôle de collabo pendant la seconde guerre mais ça, il n’avait pas besoin de le savoir.
_ Papa, y a du monde, on peut revenir plus tard ?
_ Plus tard ce sera fermé.
_ Pourquoi ?
_Parce que ça ferme à 18h.
_ Ben on n’a qu’à revenir demain.
_Demain ce sera fini, on ne peut voter que le dimanche, une fois tous les 5 ans.
_Ah. C’est ça , être citoyen ?
_Ouais.
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