Les arbres du parc avaient revêtu leur parure d’automne,
malgré les températures dignes d’un mois de septembre. Les allées étaient
bondées de Joggers, Roller skateurs, cyclistes et couples divers venus profiter
de cette étendue de verdure au milieu de la ville.
Il longea le bord du lac, les yeux fixés sur une mouette qui
se chamaillait avec une corneille, se demandant ce qu’on pouvait ressentir en
volant.
Après quelques minutes de marche paisible, il s’assit sur le
banc, à côté d’elle, comme chaque jour à cette heure-ci.
_Bonjour. De quoi veux-tu parler aujourd’hui ?
Chacune de leurs conversations commençait par cette phrase.
_Bonjour. J’ai réfléchi ce matin, et je crois que j’ai fini
par l’accepter.
_Accepter quoi ?
_ Le fait que personne ne me connaitra jamais vraiment.
Personne ne saura jamais qui je suis.
_Tu connais des gens pourtant, tu as bien des amis ?
_ Oui. Mais ils ne connaissent qu’une image de moi, un
mélange d’expériences et d’impressions… C’est faux. Ce n’est pas moi…
_Et que veux-tu de plus ?
_ Qu’ils me laissent ma liberté d’être., ma liberté de
changer…Dès que je rencontre quelqu’un, avant même de lui parler, je dois déjà
surmonter une barrière de pré-jugés. C’est comme s’ils essayaient de peindre un
tableau qui me représente dans leur tête. Ils sélectionnent un canevas type,
par exemple, homme blanc qui porte un jean et des baskets et tentent de faire
entrer tout ce qui se passe ensuite dans cette image de base.
Les femmes dessineront les hommes en se basant sur leur
expérience, si elle a été positive, j’aurais une image positive, sinon je
devrais me battre mon montrer qui je suis, et chacune de mes actions pourront
être interprétées de manière négative…
Si je trébuche en approchant, je serais quelqu’un de
maladroit. Jusqu’à ce que je prouve le contraire.
_ Et ça t’embête ?
_ Oui, enfin ça m’embêtait…J’avais l’impression de lutter
sans arrêt contre ces images…Les gens s’attendent à ce qu’on se comporte en
accord avec leurs concepts…L’image de l’homme
civilisé…L’image du petit ami…L’image de moi tel qu’ils m’imaginent…Tellement d’attentes,
de contraintes…De déceptions et de rancune lorsqu’elles se retrouvent sans
réponse. Devoir se justifier sans arrêt pour rassurer l’autre, pour lui prouver
que son image n’était pas si fausse finalement…L’aider à en construire une
autre…
_Ça m’a l’air….fatigant…
_Oui, le pire est que beaucoup de gens préfèrent essayer de
te faire entrer dans l’image plutôt que d’ajuster l’impression par rapport à la
réalité…Tellement de jugement…
_ Et tu as réussi à te libérer de ça ?
_ Pas encore, non. Mais j’ai arrêté de chercher quelqu’un
qui me comprenne. Je ne réponds plus aux attentes, je les laisse voir ce qu’ils
veulent en moi sans essayer de corriger leurs impressions fausses…Impression…c’est
exactement ça…comme une photo prise à un instant T, rangée dans un dossier…Je
suis plus qu’un simple tas de photos… Je ne lutte plus pour faire bonne
impression…
_ Je sais…
Un courant d’air imperceptible décroche une feuille de
platane jaunie qui entame une lente descente vers le sol. Le clapotis des
vagues sur le bord du quai retentit doucement, en un rythme irrégulier ponctué
par le cri des mouettes. Une petite fille pédale de toutes ses forces sur son
vélo à roulettes pour suivre son père qui semble l’avoir oubliée pour quelques
instants.
_ Je ne te juge pas moi, tu sais ? Reprend-elle.
_ Oui je sais… Mais chaque personne qui est passée depuis le
début de notre conversation m’a jugé et s’est fait une image de moi…d’une
manière ou d’une autre…
_ C’est possible… Est-ce que tu peux vraiment leur en
vouloir ? Ca fait plus d’une demi-heure que tu discutes avec une statue en
bronze…
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