Interlude : Journée de San Pedro
Le San Pedro est un cactus aux propriétés hallucinogènes
également. C’est beaucoup moins violent que l’Ayahuasca et touche plutôt aux
sensations et aux émotions.
Ca se présentait sous forme de poudre. Jim nous as conseillé
de nous baser sur les doses d’Ayahuasca pour savoir combien nous devions en prendre. Je
crois que j’ai pris une dose.
J’ai mis la poudre dans un verre, ajouté de l’eau, beaucoup
remué, bu un peu, failli vomir, rajouté de l’eau, bu un peu etc… Il nous as
conseillé de ne pas vomir avant les 2 premières heures pour être sûr d’avoir
tout l’effet.
Ca monte au bout de 2 heures, et l’effet dure 12h.
Au début, c’était tranquille, j’étais dans mon hamac à
regarder la mare avec les libellules, les tortues et tout ça, à profiter du
vent qui soufflait de temps en temps. Puis j’ai eu l’impression qu’on passait
du beaume sur tout mon corps mais à l’intérieur et je me sentais bien, vraiment
très agréable.
Puis peu à peu, j’ai ressenti une douleur grandissante au
niveau du ventre et une grande tristesse. La douleur ne m’était pas inconnue et
la tristesse non plus, j’avais déjà ressenti ça et longtemps. J’ai fait comme
on m’a appris et je l’ai laissé m’envahir pour la ressentir bien correctement
et je me suis mis à pleurer. J’ai pleuré un bon moment, avec la sensation que
ni la douleur, ni la tristesse ne diminuaient.
Au bout d’une petite heure, j’avais une question qui me
trottait dans la tête et à laquelle je n’arrivais pas à répondre : Qu’est-ce
qu’on est censés faire de la douleur ? On ne peut pas la donner à quelqu’un
d’autre, ça serait salaud. On ne peut pas juste la poser. Qu’est-ce qu’on en
fait ?
Et je me suis rendu compte que je m’étais posé plein de fois
la question étant gamin sans jamais avoir de réponse satisfaisante.
Alors je me suis levé et je suis allé voir si je ne trouvais
pas quelqu’un à qui poser cette question.
J’ai croisé une fille qui m’a dit qu’il fallait la ressentir,
essayer de savoir d’où elle venait, la comprendre. Mais j’avais l’impression
que ce n’étaient que des mots et ça ne me parlait pas plus que ça, alors après
10-20 minutes, je suis retournée dans mon hamac.
Et je me suis demandé quand elle avait commencé. Quand
est-ce que je l’avais ressenti pour la première fois ? Et je n’ai pas
réussi à trouver le début. Je me suis rappelé de tout ce que j’avais fait pour
la fuir, l’ignorer, la faire taire, et plus ça allait , plus j’avais l’impression
que mon ventre n’était qu’une grosse plaie ouverte, un puits sans fond de
douleur et de tristesse et que j’avais lutté contre toute ma vie d’une manière
ou d’une autre.
Je ne voyais pas le début, et je n’en voyais pas la fin. Tout
ce qui variait avait été ma capacité à l’ignorer au cours de ma vie. Et là, j’avais
encore une question : Maintenant je fais quoi ?
Mais j’avais l’impression que je n’avais pas le droit de
poser la question. J’avais l’impression que si je demandais à quelqu’un, j’allais
les engouffrer dans ma douleur et ma tristesse, les perdre dans mon puits sans
fond, leur gâcher leur voyage. Pour moi, cette simple question était si noire
qu’elle allait détruire tout sur son passage et noyer tout le monde.
Je me suis dit aussi que je ne pouvais juste pas continuer à
l’ignorer. J’étais là pour faire quelque chose, et j’étais bien déterminé à
repartir dans un meilleur état que j’étais arrivé. Alors je suis allé voir Jim
et je lui ai tout expliqué.
Il m’a demandé ce qu’était cette douleur, si je la ressentais
à ce moment précis. Elle était sourde mais toujours présente.
Il m’a conseillé de lui parler, de lui demander ce qu’elle
voulait, ce qu’elle faisait là, de l’observer, de la ressentir.
Je suis donc allé dans ma chambre pour mener mon petit
combat personnel. Je me suis allongé et j’ai fermé les yeux. J’ai vu cette
plaie béante qui était mon ventre, j’ai vu comme des sortes de serpents/ lianes
vivantes qui couraient sous ma peau , sous mes bras , mon torse et qui se
nourrissaient de cette plaie et la gardaient ouverte.
J’ai donc essayé de les attraper pour les arracher mais c’était
comme un unique organisme qui ne faisait qu’un avec mon corps. Même si j’en
attrapais un bout, je n’arrivais pas à le tirer, c’était comme de me tirer
moi-même par le bras.
Alors j’ai essayé de l’imaginer se séparant de moi mais je n’y
arrivais pas, même mentalement elle me glissait entre les doigts. Et je me suis
rendu compte d’un truc : Je n’avais aucune idée de ce à quoi je
ressemblais sans cette chose. Je ne savais pas qu’est-ce qui était vraiment moi
dans tout ça.
Cela faisait tellement longtemps qu’elle était là que je ne
savais pas où elle s’arrêtait et où je commençais.
Jim m’avait dit qu’il arrivait aussi parfois, bien que ce
soit rare , que des gens traînent des trucs de leurs vies passées. Je crois pas
trop à tout ça mais j’ai cherché dans cette direction quand même.
Et en remontant dans mes souvenirs, je me suis rappelé que j’avais
été malade étant gamin. Ma mère m’en avait reparlé il y a quelques années. J’étais
resté un bon moment en chambre stérile et mes parents ne pouvaient pas m’approcher
ou me toucher et tout ce que je pouvais faire était pleurer et souffrir sans
que ça n’amène à rien.
Et je me suis rendu compte que c’était la source de ce truc.
J’avais créé cette chose moi-même pour me protéger, me rendre autonome, me
défendre. J’avais construit une machine pour devenir autonome et n’avoir besoin
de personne.
J’avoue que j’étais un peu fier de moi parce que c’est une
machine assez bien foutue. Je me suis rendu compte de tous les mécanismes de
défense que j’avais mis en place : l’ironie, le sarcasme, la distanciation
et de toutes les facettes de ma personnalité qui étaient liées à cette machine.
J’ai donc continué à essayer de m’en débarrasser, sans
succès. J’étais comme une petit luciole dans mon corps en train d’essayer de
déplacer un rocher. A un moment, j’étais tellement désespéré que je me suis dit
« Ok, t’as gagné, je peux rien faire , je te laisse mon corps, je me casse »
et je me suis vu sortir de mon corps.
Mais à ce moment-là, tout s’est éteint. La machine ne
fonctionnait plus. Et j’ai compris que c’était moi qui la nourrissait, qu’elle
n’avait pas de vie sans moi.
A ce stade, ça faisait un bout de temps que je me tortillais
dans mon lit en pleurant et en gémissant, à me battre avec ce truc. J’ai décidé
que j’avais assez d’infos et que j’utiliserais l’Ayahuasca pour régler tout ça.
J’ai rediscuté avec Jim, qui a eu l’air content de l’issue
de mon combat et m’a dit que maintenant j’avais une vraie intention pour
travailler avec l’Ayahuasca.
Pendant tout le reste de la journée, j’avais l’impression de
me promener avec un trou au milieu du bide et que tous les gens qui me
parlaient ne s’adressaient pas à moi mais à ma forteresse, c’était assez
bizarre.
Mais bon, j’avais encore 2 cérémonies Ayahuasca pour gérer
ça et j’avais bien l’intention d’envoyer du pâté.
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