Une brume légère flottait entre les arbres, dissimulant le sol au regard des êtres de plus d’un pied de haut. L’humidité ambiante se condensait en gouttelettes sur la peau de Lénilaël, qui s’essuyait de temps à autre avec sa cape. La cascade n’était plus très loin, maintenant. Le bourdonnement de l’eau s’amplifiait au fur et à mesure qu’il avançait. Le feuillage, s’éclaircissant par endroits, laissait apparaître quelques rayons de soleil, à l’extrémité desquels voletait un nuage d’insectes. De temps à autre, il demandait sa direction aux arbres, principalement aux chênes, connus pour leur honnêteté.
Etant jeune, Lénilaël s’était égaré après avoir suivi les indications d’un bouquet de houx facétieux, qui s’était arrangé pour le faire tourner en rond. Il avait marché pendant des heures sans parvenir à retrouver le hameau, jusqu’à ce qu’un vieux chêne le remette sur le droit chemin. Depuis, il ne faisait plus confiance qu’aux chênes.
Quelques minutes plus tard, Il déboucha sur une clairière ensoleillée, traversée de part en part par une rivière agitée. La plupart des jeunes du hameau de Nasseyiad étaient déjà là, jouant bruyamment sous la cascade.
Son amie Erinéya l’attendait sur le bord opposé, allongée sur une roche, prenant un bain de soleil pendant que de petites fées voletaient autour d’elle, agitant de grandes feuilles de fougères pour lui faire de l’air.
Lénilaël chanta son nom, émettant un son cristallin qui la fit se redresser.
Peu de gens auraient entendu ce son car les elfes de N’taléad possèdent un langage bien particulier mêlant les cris d’animaux, le bruissement des feuilles et le ruissellement de l’eau. Seule une oreille exercée, élevée parmi eux pourrait les différencier des bruits de la forêt.
Elle lui répondit d’un signe de la main, lui proposant de traverser.
Lénilaël se rapprocha du bord et plongea dans l’eau fraîche, savourant la sensation du précieux liquide glissant sur sa peau argentée. Il rejoignit ainsi l’autre rive, captant au passage une conversation entre deux truites qui se plaignaient d’être dérangées sans arrêt. Il s’excusa auprès d’elles et refit surface en tentant de provoquer le moins de remous possible.
Erinéya l’invita à s’asseoir auprès d’elle, ce qu’il fit, aussitôt rejoint par une myriade de fées qui s’empressèrent de le sécher à l’aide de petits tampons de lichens, tout en bavardant de leurs minuscules voix.
Les deux elfes s’allongèrent un moment silencieusement, profitant de la douce chaleur du soleil. Il faut savoir que lorsque deux elfes se rencontrent, ils commencent par observer un instant de silence afin de prendre conscience de l’autre et de laisser l’ordre s’établir avant une conversation.
Il serait inutile de retranscrire la conversation car vous ne sauriez probablement pas l’apprécier, à moins que vous ne sachiez écouter le vent dans les arbres ou le chant des grillons.
Plus loin, un groupe d’enfants s’amusa à fredonner le refrain de l’eau. Celle-ci réagit peu à peu en formant une colonne qui s’éleva progressivement jusqu’à les dominer de plusieurs pieds. Ils changèrent d’intonation et l’onde s’étala au-dessus de leurs têtes de manière à former un gigantesque parasol liquide.
L’un d’entre leva la main et ils se turent simultanément, levant les bras bien haut pour accueillir le flot qui se déversait sur eux. Puis ils émergèrent à nouveau, riant aux éclats, prêts à recommencer.
Au bout d’un moment, une petite fée verte s’approcha de l’oreille d’Erinéya, portant ses mains en coupe pour lui susurrer quelque chose.
Son père l’attendait pour aller cueillir des plantes afin de préparer le repas du soir.
Après avoir remercié la fée, elle se leva et souffla doucement sur la joue de Lénilaël, équivalent d’un baiser humain, puis s’enfonça dans la forêt en direction de son hameau.
Il aurait préféré qu’elle reste encore un peu après tout le chemin qu’il avait parcouru pour la voir, mais il ne voulait pas l’empêcher d’accomplir ses devoirs envers sa famille. Aussi resta-t-il allongé tranquillement, pensant faire une courte sieste avant de se remettre en route.
Le sommeil commençait à le gagner lorsqu’il se rendit compte qu’un silence inquiétant régnait sur la forêt. Les oiseaux ne chantaient plus, ni les grillons. Lénilaël releva la tête et s’aperçut que les enfants aussi semblaient guetter quelque chose, le nez en l’air, en quête d’une odeur pouvant éclaircir la situation.
Le vent lui-même avait cessé de souffler, comme si la nature toute entière faisait une pause. L’elfe n’aurait pas été surpris si la rivière s’était arrêtée.
Soudain, le sol se mit à gronder, doucement d’abord, puis de plus en plus fort. Un grondement accompagné de secousses si violentes que plusieurs arbres se mirent à hurler de terreur. L’un d’entre eux, complètement paniqué, tentait de dire quelque chose à propos de ses racines mais il s’effondra avant de pouvoir finir.
De leur côté, les enfants cherchaient à sortir de l’eau en escaladant les rochers du rivage, assistés par les fées qui s’accrochaient à eux en papillonnant des ailes à toute vitesse pour les soulager de leur poids.
Lénilaël essaya de trouver un abri mais sa seule chance aurait été d’apprendre à voler et il n’avait ni les ailes ni le temps.
Les machines des hommes étaient revenues…
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire