Vous avez aimé Loft Story ? Vous aimez les récits ordinaires de la vie de gens ordinaires, où il ne se passe strictement rien ?
Ben vous allez être servis.
Le réveil sonna à 7h ce matin-là, je poussai un grommellement et appuyai sur ce fantastique bouton qu’est le snooze, celui qui vous donne l’impression que vous allez pouvoir faire une grasse matinée, que le boulot n’est pas si important que ça et que vous vous pouvez tout envoyer péter d’un seul coup. Bon d’accord, l’impression ne dure que 10 minutes mais vous pouvez renouveler l’opération 2 ou 3 fois si vous avez prévu le coup la veille.
J’appuyai donc sur ce fameux bouton et me remémorai mon rêve. Encore un rêve à la con, bien sûr, pas de prémonition, pas de jolie blonde, rien. Juste un chat. Mais pour une raison qui m’échappe, je réussis à avoir d’excellente discussions avec ce chat, qui devint mon meilleur ami. Tout ce que nous faisions, nous le faisions ensemble. Pourquoi un chat ? Peut-être parce que je ne crois plus assez aux humains, parce qu’il est plus simple de se confier à un animal, qui n’ira pas tout raconter à ses potes dans votre dos en rigolant.
Enfin bref, le fait est que ce chat m’a écouté au lieu de me raconter sa vie, qui ne devait rien avoir d’intéressante, je ne dis pas que la mienne l’était mais je peux vous dire que ça fait beaucoup de bien.
A la fin de mon rêve, juste avant mon réveil, ce chat est mort. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter, que ça arrivait à tout le monde, et tout, et tout... N’empêche qu’en me réveillant, j’avais très envie de pleurer parce que je savais que jamais je ne rencontrerai quelqu’un qui saurait m’écouter, me conseiller et que je pourrais écouter aussi. J’ai essayé de parler à des chats depuis, mais ça n’a rien donné.
Cela m’a aussi donné envie d’écouter les autres parce que je sais le bien que ça fait mais étant donné que personne ne sait qu’on peut me faire confiance, personne ne se confie à moi et c’est aussi bien. De plus, je ne suis même pas foutu de savoir jusqu’à quel point je peux me faire confiance.
Bon passons sur ce rêve, qui reste, ne l’oublions pas, un rêve à la con.
Dix minutes plus tard, ce con de réveil re-sonna.
Par la force de l’habitude, je me levai donc, plein de tristesse d’avoir perdu mon meilleur ami. La tristesse est une émotion. Comme chaque émotion, elle permet de se sentir vivant. Oui, je sais, moi aussi je préfère l’amour mais comme disait un gars qui est mort avant qu’on apprenne ses oeuvres au bahut : Le coeur a ses raisons que la raison ne connait point.
En gros, tu prends ce qu’on te donne et si t’es pas content, c’est pareil. Y en a qui choisissent d’arrêter leur coeur ( ou de ne plus l’écouter ) parce qu’ils ne supportent pas d’avoir trop d’émotions, ça empêche de réfléchir. Pour ma part, j’ai choisi la méditation, d’autres prennent des drogues ( qui procurent des sensations, pas des émotions ) ou des fusils de chasse. Attention les drogues nuisent gravement à la santé ( le fusil de chasse aussi d’ailleurs ).
Je me levai donc, pris des affaires propres et marchai (presque) droit à la salle de bains. Ca a pas beaucoup avancé dans l’histoire, hein ? Pourtant c’est comme ça que ça se passe. Vous réfléchissez comme ça toute la journée, vous aussi ?
Pas tous, je sais, sinon ceux qui parlent H24 se tairaient.
Je me déshabille, règle la douche sur bien chaud mais pas trop, mesure la température avec mon index ( une fois, j’ai essayé de faire ça avec mon gros orteil et je me suis fêlé une côte, quel con, hein ?), et rentre sous la douche. Je me savonne, pas besoin de détails, et reste un bon quart d’heure en augmentant progressivement la température de l’eau jusqu’à me sentir suffisamment éveillé pour aller bosser.
Je chopai ensuite une serviette et commençai à m’essuyer,( là non plus, pas besoin de détails, vous savez tous comment on fait) tout en me demandant comment cela se serait passé si j’avais eu une copine chez moi. Puis quand j’ai commencé à me répondre, j’ai changé de sujet parce que ça sert à rien de partir blasé dès le matin. J’ai fait comme d’habitude, je me suis dit que j’étais pas fait pour vivre avec quelqu’un, que j’étais fait pour la liberté et que ma vie n’appartenais qu’à moi, et je sais toujours pas si c’est vrai ou si c’est des excuses que je me fabrique. Un coup d’oeil dans la glace droit dans les yeux du gars en face qui me regarde avec une paupière à moitié fermée, suffisamment longtemps pour décider que c’est un jour où je me sens bien dans ma peau. D’une main, j’ouvre la porte derrière moi et consulte l’horloge au fond du salon, laissant rentrer un courant d’air froid. C’est marrant d’ailleurs comme l’air chaud se barre toujours quand on en a le plus besoin.
Il est donc 7h35. Encore 10 minutes avant d’être en retard.
Habillage, brossage de dents et je suis prêt. Plus qu’à choper une orange, enfiler les godasses et sortir. Sortir est peut-être le moment le plus important de la journée, celui qui va décider si elle va être merdique ou non. C’est là que je sais si je me suis enfermé dehors ou pas. Rigolez pas, ça peut vous arriver aussi. C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte qu’on a beau être aussi riche qu’on veut, si on oublie ses clés, tout est perdu. La voiture devient inutile, l’appartement devient inutile, et on est seul au monde. Et j’ai plus 6 ans, je ne peux pas juste m’asseoir devant la porte et pleurer jusqu’à ce qu’on vienne m’ouvrir. La vraie merde, quoi.
Mais aujourd’hui est une vraie journée comme les autres et il ne se passe strictement rien, alors je sors avec mes clés.
Je referme cette putain de porte en béton, qui frotte sur le carrelage de l’entrée en faisant un bruit à réveiller tout l’immeuble. Essayez donc de sympathiser avec les voisins quand vous les faites grincer des dents tous les jours à 7h45.
Descente de l’escalier au radar, repérage de la voiture, verrouillage de cible et je marche jusqu’à elle en essayant tant bien que mal d’imiter la démarche du gars qui est ravi d’aller au boulot, tout en sachant pertinemment qu’il doit y avoir au moins une ou deux vieilles le nez collé à la vitre, qui me regardent tout en m’imaginant mentalement en train de me droguer dans mon appart avec toute une bande de junkies, le pétard à la bouche et la seringue au bras, comme tous les jeunes sont censés le faire. Oui je sais, les personnes âgées ont accumulé une grande sagesse et peuvent m’apprendre une quantité de choses inouïes. Mais la plupart du temps, il faut d’abord leur courir après et les plaquer au sol pour arriver à leur soutirer, ne serait-ce qu’un indice sur l’heure qu’il est.
Je fais ensuite chauffer la voiture et lorsque la musique commence, je la démarre, tout en me demandant comment ma journée va se dérouler ( je ne sais pas encore qu’il ne va strictement rien se passer, et puis parfois ça fait du bien d’imaginer que l’on mène une vie pleine d’aventures ). Marche arrière, je recule, première, j’avance (logique), et en route. Généralement lorsque je conduis, je suis dans une sorte d’état second où toutes sortes de choses circulent dans ma tête et j’oublie la route. Et à ceux qui me disent que c’est dangereux et que je devrais être concentré, je leur réponds que je suis encore plus dangereux quand je fais attention à ce que je fais. Parfois, lorsque le soleil brille, que je suis heureux, j’éteins la musique et je chante. Je chante n’importe quoi, tout ce qui me passe par la tête, et plus je chante, plus je me sens heureux et plein d’énergie. Mais si je ne suis pas assez heureux et que je pars dans le délire « mais qu’est-ce les gens vont en penser », délire qui me bousille la vie soit dit en passant, je chante dans ma tête et ça n’a aucun effet.
Bref, après environ un quart d’heure de réflexion profonde sur le sens de la vie, j’arrive à destination. Ensuite, quel que soit l’endroit où je suis, cela se passe à peu près de la manière suivante :
Je sors de ma voiture, fait quelques mètres, rentre dans le bâtiment et je serre une dizaine de mains en disant « salut, ça va », alors que je dois connaître personnellement seulement la moitié des gens, parfois j’essaye de varier et d’ajouter un prénom par-ci par-là mais ce rituel du matin m’emmerde profondément. Comme c’est magnifique la politesse : si vous faites preuve de politesse, les gens le remarqueront à peine mais si vous avez le malheur d’oublier, ils passeront la journée à se demander pourquoi vous les évitez et ils feront courir des rumeurs sur vous comme quoi vous essayez de péter plus haut que votre cul. Là encore, ne rigolez pas. Quand j’avais une dizaine d’années, un ami de mes parents m’a suivi sur au moins 800 mètres avec sa voiture parce que j’étais passé en vélo devant lui sans lui dire bonjour. C’est pas de ma faute, je l’avais pas vu. Mais quand il a commencé à me passer un savon et qu’il m’a expliqué pourquoi il le faisait avec son gros visage tout rouge gonflé par la colère, j’ai eu la plus monumentale crise de fou rire de toute ma vie.
Toujours est-il que je n’ai rien du tout contre les gens avec lesquels je bosse, mais s’il était possible d’arriver dans un endroit et de dire tout simplement bonjour à voix haute, je serais même prêt à ajouter un signe de la main, je gagnerais au moins 30 secondes de vie par jour. Oui, je sais, vous allez me dire que si j’arrêtais de bosser, je gagnerais 35 heures par semaine. Ce n’est pas faux, après tout, si c’est tout ce que je dois faire pour gagner un salaire à la fin du mois, pourquoi pas. C’est vrai qu’il vaut mieux serrer des mains que tailler des pipes.
Le reste de la matinée est ensuite tout ce qu’il y a de plus monotone, je discute et j’apprends souvent des choses intéressantes. Puis je fais la sieste et j’assimile, je recoupe et je digère les choses intéressantes que j’ai pu apprendre. Parfois je me lève et je lis un code-barre. Le plus souvent, je reste dans mon coin et je lis ou j’observe les autres en essayant de lire dans leur esprit et de comprendre pourquoi ils agissent de telle ou telle manière, ce qui est un excellent entraînement à la psychologie. L’esprit humain est d’une complexité hallucinante et je trouve dommage que la plupart des gens passent à côté de ça en rangeant dans la catégorie des cons tous ceux qui ne pensent pas comme eux. D’autant plus que la plupart du temps, quand on se dit que l’autre est con, c’est parce que c’est lui qui a raison. En plus, pour peu que vous sachiez écouter, vous pourrez apprendre beaucoup de choses de votre prochain.
Et, même si vous n’en avez rien à foutre, mais si vous n’en avez rien à foutre, je pense que vous avez arrêté de lire depuis un bon moment ; donc, même si vous n’en avez rien à foutre, je vous avoue que je me sens supérieur aux autres. Mais pas en tout, ce qui fait que les autres sont aussi supérieurs à moi. D’ailleurs, des fois, les points sur lesquels je me sens supérieur ne me servent à rien ce qui fait que j’ai vraiment l’impression d’être une merde ( mais je me rassure en me disant que je sais faire bouger mes oreilles ).
La matinée se déroule donc tranquillement, sans aucune émotion et je vais bouffer. Je reprends la voiture, je vous épargne le trajet, et je rentre manger chez moi. Vu que c’est un jour comme les autres, on va dire que j’achète un sandwich au passage. Je me pose donc dans mon appartement, je mange mon sandwich en écoutant de la musique et en regardant le mur ( magnifique mur blanc en crépis ). Après avoir mangé, je m’assois dans mon canapé et je lis ou je me tape des délires en imaginant ce qui se passerait si je me faisais enlever par des ovnis ou si je rencontrais la femme de ma vie. Tout en sachant que les probabilités pour que l’un ou l’autre arrive sont à peu près nulles. J’en suis même arrivé à me demander si j’étais pas PD. Mais quand j’ai arrêté de me le demander et que je me le suis imaginé, j’ai compris tout de suite qu’il n’y avait aucune chance, ce qui est tout de même rassurant.
Je délire donc tout seul dans ma tête, oui, je suis encore tout seul dans ma tête, pas d’ami imaginaire ou quoi que ce soit, rappelez-vous, il est mort la nuit dernière. Enfin bref, je délire dans ma tête, pensant à une vie différente, et puis je repars au boulot. L’après-midi, c’est la même chose que ma matinée, sauf que j’ai tendance à plus m’amuser.
Et à 17h, heure bénie, je finis le boulot. Je reprends la voiture, je fais deux ou trois petits trucs nécessaires à ma survie comme faire les courses ou acheter des clopes, et je retourne chez moi. Toute ma journée s’est déroulée et à chaque instant, plus ou moins consciemment, des pensées défilaient dans ma tête, ce qui fait que jamais je ne me suis emmerdé. Il y avait des pensées du style « qu’est-ce je ferais si j’étais un champion de tennis » et d’autres du style « Comment elle a bien pu en venir à mettre des chapeaux comme ça celle-là, est-ce que c’est dû à une enfance malheureuse ou est-ce qu’elle a réussi à surmonter le délire du « Qu’est-ce que les gens vont penser » et qu’elle en abuse. »
Je rentre donc chez moi, et je lis, je surfe sur internet, je fais de la musique, je mange, je bois un thé, je fume une clope et je vais me coucher.
Voilà donc ce qui se passe dans une de mes journées où il ne se passe strictement rien. Ce texte va peut-être vous paraître égocentrique, mais c’est pas mon problème, c’est vous qui vous êtes fait couillonné parce que vous l’avez lu jusqu’au bout. En tout cas, ça m’a permis de me rendre compte que c’est pas la peine que j’attende les ovnis ou la femme de ma vie et que si je ne me remue pas un peu, je vais finir comme ça. Voilà donc la conclusion, pour ceux d’entre nous qui ont une vie merdique, c’est de notre faute, c’est pas la peine de s’en prendre aux autres, on n’à qu’à bouger notre cul. C’est peut-être pas aussi poétique que la morale d’une fable de Lafontaine mais ça va le faire. Et si ça ne vous suffit pas, dites-vous que le gars qui lit depuis tout à l’heure par-dessus votre épaule en reniflant dans votre oreille a une vie encore plus pourrie que la vôtre et ça devrait aller mieux. Deux solutions : Se retirer les doigts du cul ou se tirer une balle. Moi, j’ai fait mon choix (et oui, je me suis lavé les mains après), à vous de faire le vôtre.
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