Yassin marchait le long du trottoir défoncé, son regard passant d’un bâtiment dévasté à l’autre. Le soleil tapait dur en ce premier jour de printemps et si le contexte avait été différent, c’eut été une magnifique journée. La poussière soulevée par les nombreuses voitures de la rue se collait sur la sueur maculant son visage.
Les pensées de Yassin se tournèrent vers sa famille. Il aurait tant aimé leur offrir une vie meilleure, quitter la Palestine et s’installer en Allemagne mais le voyage coûtait beaucoup trop cher. Nourrir ses trois enfants à leur faim était déjà bien assez difficile, sans compter sa maison détruite au bulldozer une semaine plus tôt.
Un gros 4X4 aux vitres teintées le dépassa et un nuage de terre lui emplit les poumons, lui arrachant une incontrôlable quinte de toux. Une supérette à sa gauche proposait des packs de 6 litres d’eau, largement de quoi étancher sa soif mais tout son argent était resté avec sa famille.
Plus il avançait, plus les maisons étaient propres, les gens bien habillés. Il aperçut même une femme qui souriait. Depuis quand sa femme n’avait-elle pas souri ?
Yassin aperçut l’arrêt de bus qu’il cherchait.
« Tu prendras le bus de 12 :58 »
Il rajusta son pardessus et accéléra le pas. Le bus ne devrait pas tarder, l’arrêt était bondé. Pourvu qu’on lui laisse une place.
Le visage de ses enfants défila dans sa tête. Il était si fier d’eux, le plus âgé n’avait pas pleuré, même s’il comprenait que son père ne reviendrait pas. Le plus difficile était l’enregistrement de la cassette vidéo. Yassin ne savait pas quoi dire et les ravisseurs avaient battus sa femme longtemps avant qu’elle ne se décide à réciter le texte qu’ils lui avaient appris.
« Tu es têtue, femme, mais je vais te dresser »
Il avait voulu s’interposer mais un coup de crosse de fusil l’en avait rapidement dissuadé. Mieux valait faire ce qu’ils disaient.
Yassin aurait tant voulu un monde meilleur pour ses enfants, lui plus que tous, aurait voulu la paix.
Il s’arrêta au milieu de la foule et attendit, jetant régulièrement un œil sur sa montre, nerveux mais résigné. Dieu fasse qu’ils tiennent leur promesse. Ses ravisseurs lui avaient parus bizarres, restant masqués tout au long de sa captivité, et le pire de tout est qu’ils parlaient arabe avec un accent, faible certes, mais suffisamment prononcé pour savoir qu’ils n’avaient rien de palestinien.
Le bus s’arrêta et les portes battantes s’ouvrirent, laissant la foule s’engouffrer à l’intérieur, femmes, enfants, hommes d’affaires… et Yassin.
« Si tu fais ce qu’on te dit, nous ne ferons aucun mal à ta famille, mais si tu désobéis nous tuerons tes enfants un par un, devant ta femme. »
Yassin resta debout contre une vitre, regardant défiler le paysage, n’osant pas croiser le regard d’autres passagers. Il fit une courte prière silencieuse, ne cessant de se demander qui pouvaient bien être ces mystérieux ravisseurs.
Sara tenait son fils entre ses bras, ballotée par les mouvements de foule, eux-mêmes provoqués par les cahots du bus. Elle entendit soudain un sanglot à sa gauche et se tourna vers un homme au visage poussiéreux. Des larmes coulaient sur ses joues, creusant des sillons dans la crasse.
_ Quelque chose ne va pas monsieur ?
Plusieurs personnes se retournèrent pour voir ce qu’il se passait, curieuses.
L’homme essuya ses larmes du revers de sa manche et murmura d’une voix cassée :
_ Je suis désolé, je n’ai jamais voulu ça, ils m’ont obligé.
Il ouvrit son pardessus, dévoilant une ceinture explosive, et appuya sur le détonateur.
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