dimanche 19 décembre 2010

Un pas en avant

Quoi qu'il arrive, il y en a toujours un premier.
C'est pas le rôle le plus facile car être le premier veut dire s'exposer, se rendre vulnérable.
Mais c'est le plus important car c'est celui qui osera innover, qui ouvrira la voie aux autres.
Bien sûr, ceux qui n'osent pas le suivre, comme moi, critiqueront. Pas par méchanceté. Mais parce que c'est la seule chose à faire si vous voulez être sûrs de ne pas vous rendre vulnérable.
Je resterais bien au chaud avec la masse, à l'abri de tout jugement. Dans l'anonymat. Et pour être sûr que personne ne croie que j'essaie de me séparer du troupeau, je vais dire des trucs comme : _ Non, mais tu l'as vu l'autre ? Comme il se donne en spectacle ? Comme il se la joue ? Il n'a vraiment aucune pudeur. Il est ridicule.
Comme le premier arrivé sur la piste de danse d'une boîte. Celui qui ose se lancer avant d'être assez bourré pour n'en avoir plus rien à foutre. Il s'expose. Il devient vulnérable. Oui. Mais il vit.

Je dis pas que je suis le premier.

Mais je vois personne d'autre qui s'avance et faut bien commencer quelque part.

Je dis pas que je ne recherche pas l'attention.

C'est pas nouveau. J'ai toujours eu besoin d'attention. Depuis tout petit, je cherche tout un tas de moyens d'attirer l'attention.
Au début, je faisais pas dans le subtil. Je hurlais, je courais dans tous les sens, je sautillais, je chantais. J'aurais pu hurler : Hé regardez-moi ! Regardez-moi !
Jusqu'à ce qu'on m'aie répété assez souvent de fermer ma gueule.
Aujourd'hui on traite ça différemment, on appelle ça le trouble du déficit de l'attention et on vous file des cachetons....ah ah ah...la vie est marrante...un gamin gesticule pour attirer l'attention, on lui dit qu'il n'a pas assez d'attention et on le drogue...
Bon alors là je me suis dit : Tiens, là ça marche pas pour attirer l'attention. Moi tout seul, j'y arrive pas, je vaux pas la peine qu'on fasse attention à moi.
Du coup j'ai commencé à employer des artifices. Dès que quelqu'un débarquait à la maison, je sortais tous mes jouets. Hé t'as vu ça ? Et pis t'as vu ça ?
Mais ça marchait pas, les jouets, ça intéressait que moi, ou les gens y arrivaient un moment mais bon, on comble pas plusieurs années de besoins comme ça en une soirée.
Alors, à un moment, je me suis dit, tiens oui c'est vrai, j'en demande un peu trop finalement, pourquoi on ferait attention à moi, j'ai rien d'intéressant à offrir....
Et pis j'ai commencé à être bon à l'école. Là j'ai tout de suite vu que des gens s'intéressaient à moi. C'était bien, j'avais des compliments, on me donnait des trucs...alors j'ai continué un peu dans cette voie là.
Bon, si y avait un truc que je comprenais pas, tout mon stratagème s'effondrait. Là j'avoue j'ai pleuré deux trois fois. Et puis je me suis rendu compte qu'être bon à l'école ça marchait pas avec les potes, il fallait des jouets. Et il fallait les prêter. Être marrant ça marchait bien aussi.
Mais ça marchait pas avec les adultes parce que je comprenais pas l'humour des adultes. L'humour marchait un peu avec les filles mais pas assez.
Après j'ai commencé à attaquer les trucs un peu plus élaborés.
Je regardais ce qui intéressait les gens et j'essayais de ramasser les miettes de l'attention qu'ils accordaient au sujet.
Alors comme ça, je me retrouvais à essayer de comprendre ce qui leur faisait plaisir, à essayer de leur faire écouter de la musique...trouver des nouvelles blagues...des bons bouquins...
Bon ça a pas été tout seul, hein ? Combien de fois je me suis retrouvé déçu parce que quelqu'un dont j'aurais aimé attirer le regard me disait que ce que je voulais leur offrir les intéressait pas...
Mais j'ai continué quand même. Je le fais encore d'ailleurs. J'ai besoin qu'on me valide, qu'on me rende réel, qu'on dise que la musique que j'écoute c'est bien. Et ça fait un peu moins mal quand on me dit le contraire mais ça blesse encore. Parce que vous comprenez, la petite critique d'aujoud'hui, c'est un peu comme une pincée de sel sur la blessure d'hier.
Et puis je me suis rendu compte que les gens aiment pas qu'on leur prenne leur attention, moi non plus d'ailleurs, j'en avais déjà pas beaucoup, j'allais pas la jeter par les fenêtres. Alors je me suis dit, ok, je dépense pas mal d'énergie à essayer d'avoir l'attention des autres, du coup je leur donne la mienne, y a un problème là...
Et pis à force qu'on me dise de fermer ma gueule, j'avais plus grand-chose à dire.
Et pis j'ai découvert...ah ah ah, j'en rigole encore tellement c'est ironique...Ce qui intéresse le plus les gens...c'est qu'on leur accorde de l'attention, qu'on s'intéresse à eux...ah ah ah....
Comme moi.
Sauf que je m'en suis pas rendu compte.

Je pourrais sortir tout un tas de comportements que cette quête d'attention a généré mais c'est trop difficile à organiser de manière cohérente.

Ce que je voulais dire, en fait, pour résumer, c'est que je voulais juste un peu d'attention, qu'on écoute un peu plus ce que j'avais à dire et qu'on me dise un peu moins de fermer ma gueule.

Parce que ça me rendais triste, vous comprenez ?

Quand j'étais gamin, que j'avais juste envie de jouer et qu'on me disait « dégage » ou des trucs du genre « tais-tois, je regarde la télé ». Pas facile de lutter contre la télé en matière d'attention.
Vous comprenez pourquoi je l'aime pas ? Elle m'a volé pas mal de l'attention de ma famille.

Voilà, donc je dis pas que je suis le premier à sortir des trucs comme ça, et à les donner à lire à tout le monde.
Je dis pas que je suis le seul.

Mais il y en a déjà qui pensent que c'est obscène. Que je n'ai aucune pudeur. Que je recherche juste de l'attention. Que je me donne en spectacle. Que je suis ridicule.

Ouais. J'ai besoin d'attention. Comme vous. Mais moi je le sais.

Et même pire que ça. Je la mérite. Comme vous. Parce que j'existe. J'ai une place. Je n'ai pas besoin de faire des pirouettes ou de me prostituer pour avoir de l'attention. Non. Etre moi-même, ça suffit.

De croire que j'en valais pas la peine, c'était des conneries. De croire qu'être moi-même ne suffisait pas à obtenir de l'attention, c'était des conneries. D'avoir développé tout un tas de stratagèmes et de comportements pour attirer l'attention, c'était des conneries.

Et maintenant, oui, je vais attirer l'attention...je vais m'exposer...me rendre vulnérable.

Pourquoi ?

Parlons un peu intention.

Le gars qui danse tout seul sur la piste sait bien que les autres doivent lui trouver l'air con, qu'ils le critiquent peut-être...mais lui il en profite. Il sait aussi que quand les gens qui le critiquent verront que danser, ça mord pas, ça tue pas et ça a l'air plutôt marrant, quand ils seront assez bourrés, ils le rejoindront.
A ce moment-là, il ne sera plus tout seul.
Celui qui sera assis au bar sera tout seul.

Il sait aussi qu'il faut bien que quelqu'un commence. Lance le mouvement.

Et ça, c'est aussi son intention. Il se fait plaisir mais il sait qu'il est, par là même, en train de lancer la soirée.

Mon intention est différente. Je sais que j'en profite maintenant parce que je peux me permettre de me rendre vulnérable. Peut-être que je vais aussi me refermer sous les critiques. Mais jusqu'ici ça va.

En fait, j'en ai marre de voir qu'on a tous les mêmes blessures, et qu'on en parle pas. J'en ai marre d'entendre dire de quelqu'un qui parle d'amour, qu'il est niais ou cucul.
J'en ai marre d'entendre dire de quelqu'un qui parle de spiritualité qu'il est un fanatique religieux.
J'en ai marre d'avoir le sentiment de devoir m'excuser lorsque je dis que je suis triste à cause de quelque chose, en colère à cause d'autre chose. J'en ai marre d'avoir le sentiment de devoir m'excuser de prendre le temps des autres et leur attention pour exprimer ce que je ressens.

J'en ai marre de vous voir souffrir dans votre coin sans rien dire. Regardez vous dans les yeux. Ce que vous pensez cacher est à la vue de tout le monde.

J'ai pas envie de faire du « small talk » , juste pour combler les silences parce qu'on arrive plus à parler des choses importantes. On arrive même plus à les reconnaître, les choses importantes, on laisse la télé nous dire ce qui est important.

J'ai le droit de dire que je suis triste parce que je suis plus capable de faire confiance à quelqu'un.
J'ai le droit de dire que je suis heureux parce que je suis capable d'apprécier chaque jour tous les petits trucs que vous voyez même plus.
J'ai le droit de dire que j'ai peur de me retrouver tout seul parce que j'ai tellement l'impression d'être une merde en matière de relation.
J'ai le droit de dire que j'ai honte d'avoir fui alors qu'on avait besoin de moi.

Ce que j'aimerais bien que vous compreniez, c'est que vous avez le même droit. Et ceux qui vous critiqueront sont ceux qui ont le plus peur d'être critiqués.

Alors oui. Je suis peut-être le premier que vous allez lire. Mais je serais pas le dernier. Y en aura d'autres qui me rejoindront pendant que les autres critiqueront.

Vous venez danser ?

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