mardi 3 mars 2015

Retraite Ayahuasca Partie 1



Retranscrire l’expérience complète est difficile voire impossible, mais je vais essayer de décrire les 40% que je peux.
Cette retraite a eu lieu dans le Hummingbird Center, à 30 mn de route d’Iquitos, Pérou, la plus grande ville au monde encore non reliée par des routes, accessible uniquement par avion ou par bateau.
Le centre est tenu par Jim et Gina et accueille constamment de nouvelles personnes pour traiter toutes sortes de problèmes de l’addiction à la dépression en passant par un large éventail de troubles psychosomatiques.
J’y suis allé uniquement dans un but de développement personnel et parce que je trouvais l’expérience intéressante et non pas parce que j’avais quelque chose à guérir.
Dès l’arrivée dans le centre, nous avons pu choisir nos chambres : une pièce avec un lit et une petite armoire, ainsi qu’un hamac à l’extérieur au bord de la mare.
Nous avons ensuite visité les installations, salon commun, salle à manger, douches/toilettes et  Maloca.
Certaines personnes, en retraite personnelle vivaient dans un Tambo, une hutte personnelle plus à l’écart dans la jungle.
Nous avons déjeuné puis Jim nous as convié dans la Maloca pour nous expliquer à quoi nous devions nous attendre durant la cérémonie du soir. Il a été très pédagogue, et nous a laissé poser toutes les questions que nous voulions.
En gros, l’Ayahuasca est une drogue hallucinogène très puissante. Sa particularité est qu’elle met les gens face à eux-mêmes et vous montrera quasiment à coup sûr ce que vous essayez de fuir, sans relâche et de plein de manières différentes.
Il nous a expliqué qu’il n’y avait aucune raison d’avoir peur, qu’il n’allait rien nous arriver de mal, mais qu’il ne pouvait pas prévoir ce par quoi nous allions passer et qu’il y avait quand même de fortes chances que nous vivions des expériences effrayantes. Chaque expérience est différente.
L’état d’esprit conseillé durant la cérémonie est de se laisser aller et de laisser le médicament et les Icaros faire effet ( littéralement, en anglais, on parle de « medicine » et après la première cérémonie, tout le monde avait compris pourquoi ).
Une fois cette réunion d’info terminée, on est allés se reposer avec pour conseil de ne rien boire à partir de 17h et de ne rien manger à partir de 15h.
A 19h30, nous nous sommes réunis dans la Maloca en cercle face au pilier central, sur un matelas chacun. Nous avions une petite couverture, un oreiller, un bol pour vomir, une bouteille d’eau ( pas pour boire mais se rincer la bouche uniquement ) et une lampe de poche pour aller aux toilettes à 50 m de la Maloca.
Eddington, l’assistant du chaman a fait brûler un peu de sauge .
Jim nous as appelés un par un pour prendre notre dose d’Ayahuasca. Pour la première cérémonie, chacun reçoit 2/3 de dose et pour les suivantes, c’est à nous de dire quelle dose nous voulons. Il est impossible de prédire quelle dose doit prendre une personne pour obtenir un effet similaire à une autre. Une personne de 200 kilos pourra ressentir des effets très fort avec ¼ de dose tandis qu’une de 50 kilos aura besoin d’une dose entière avec la même préparation.
Nous avons donc chacun bu notre Ayahuasca qui a un goût vraiment horrible. Il est conseillé de se rincer la bouche immédiatement après l’avoir bu pour limiter les nausées. Rien que d’y penser, j’ai envie de vomir.
Une fois que tout le monde était passé , Jim a éteint les lumières pendant que Manain, le chaman, prenait sa dose.
Après 2-3 minutes, Manain a commencé a siffler puis après quelques minutes, il s'est mis à secouer des maracas et à chanter les Icaros.


1ère Cérémonie :

Les effets n’ont pas été trop forts pour la première. Au bout d’un moment, je suis retourné vers Jim pour en reprendre un peu.
Une demie heure plus tard, j’ai commencé à avoir quelques hallucinations et la « réalisation » suivante :
Nous développons tous des mécanismes de défense, comme des parapluies pour se protéger de la pluie. Ca fonctionne, mais le problème est qu’une fois que le parapluie est déployé, nous ne pouvons plus voir ce qui nous menaçait et ne pouvons donc pas savoir si le danger est encore là.
En gros, quand notre parapluie est ouvert, on ne peut pas savoir s’il s’est remis à faire beau, ou uniquement de manière indirecte.
Il faut donc s’éloigner de la protection du parapluie pour voir le ciel, ou le fermer complètement.
Je me suis rendu compte à ce moment-là, que pour échapper à un problème, ou à un truc qui me tracassait, il me suffisait de m’en éloigner, de prendre de la distance, jusqu’à ce que le souci paraisse minuscule. C’était tellement simple que j’étais mort de rire. J’avais l’impression d’avoir tout compris et que j’allais m’ennuyer pendant 12 jours après ça.
Je me suis mis à la place du soleil ( donc loin de tous mes tracas ) et de là-haut, je ne voyais qu’un troupeau de parapluies et je me suis rendu compte que vu de l’extérieur,  on ne voit des gens que leurs parapluies et non pas qui ils sont vraiment. Les mécanismes de défense que nous développons empêchent les autres de savoir qui nous sommes.
J’ai continué à bien rigoler de tout ça, le reste de la cérémonie s’est déroulé calmement, j’écoutais les Icaros, les bruits de la jungle et essayait de trouver comment j’allais pouvoir partager tout ça.
Vers minuit, Jim a dit « The ceremony is over », et a fait un tour pour demander à chaque personne comment ça allait. Je lui ai dit que ça allait bien et ça avait été calme.
J’étais encore un peu défoncé et il pleuvait dehors donc je n’avais pas trop envie de bouger.
Quelques autres personnes sont restées pour dormir dans la Maloca. Vers 12 :30/1 :00, l’Ayahuasca a recommencé à faire effet. J’ai été pris de nausées et ai vomis dans mon bol. J’ai eu un peu peur parce que tous les « responsables » étaient partis se coucher, et me suis pris à espérer que ça n’allait pas être trop violent.
J’ai été pris d’une flemme incroyable, je n’avais plus envie de bouger, voulais juste rester allongé sans rien faire. Le problème était que j’avais un bol plein de vomi à mes pieds et je n’arrêtais pas de penser au fait que quelqu’un allait shooter dedans en passant.
Et je ne voulais pas non plus le mettre à côté de moi parce que rien que l’odeur me donnait envie de vomir.
Je donc resté là, parfois accroupi, parfois allongé pendant ce qui a semblé des heures avec mon esprit qui revenait toutes les 20 secondes sur ce bol de vomi qu’il fallait que je vide, pensant au fait que je devais assumer mes responsabilités, prendre soin de moi-même puisque personne n’allait le faire à ma place.
Et j’ai tourné en rond dans ma tête comme ça pendant un moment, il fallait que je vide ce bol mais j’étais pris d’une flemme tellement énorme que je trouvais tout un tas de justifications pour ne pas le faire tout de suite « ce n’est pas grave, ça peut attendre, tout le monde fait comme ça,etc.. » et toutes les 20 secondes, ce bol de vomi me revenait à l’esprit et je savais ce que j’avais à faire mais j’avais l’impression que c’était au-dessus de mes forces.
Au bout d’un moment, le mental est arrivé à bout d’excuses et il devenait plus fatigant de résister que de me lever pour vider le bol. Je me suis donc levé, je suis sorti, ai trouvé mes chaussures et une plante pour vider mon bol.
J’en ai profité pour aller aux toilettes. Il faut savoir que l’Ayahuasca provoque une diarrhée assez violente. Quand je suis revenu à mon matelas, je me suis senti assez confiant pour aller jusqu’à mon lit, ce que j’ai fait.
Une fois dans mon lit, j’ai halluciné un peu pendant 1 heure ou 2 et je me suis endormi.
Au lendemain de chaque cérémonie, après le petit déjeuner, nous avions une réunion tous ensemble pour raconter ce que nous avions vécu. Je parlerais uniquement de mes expériences ici.

2ème Cérémonie :

Pour cette cérémonie, j’ai pris 1 dose entière donc 1/3 de plus.
Pendant une demi-heure, je n’ai pas ressenti grand-chose puis c’est comme si quelqu’un avait allumé un interrupteur.
J’étais complètement défoncé. J’ai commencé à avoir des sueurs froides et des spasmes, à ne plus sentir mon corps, mon esprit était ballotté de pensée en pensée à 100 à l’heure, à tel point que je n’arrivais plus à suivre.
J’étais mort de trouille et j’avais l’impression que j’allais devenir fou. Je me raccrochais aux chants de Manain comme à une bouée de sauvetage.
Je me perdais complètement, revenais aux chants, me reperdais , revenais aux chants. C’était comme un champ de bataille. J’entendais les autres vomir et gémir autour de moi, et je demandais comment on pouvait être assez cons pour faire ça. Je me suis dit qu’il y avait une erreur, qu’ils s’étaient trompés dans les dosages, que j’avais une réaction différente et j’allais en crever. Et puis je me raccrochais aux chants.
Et je me suis rendu compte que Manain fatiguait un peu pendant ses chants puis il reprenait de plus belle, et je me suis senti tellement putain d’incroyablement reconnaissant de ne pas arrêter de chanter.
Il tenait la Maloca tout seul avec son chant. Il tenait une petite lumière verte, un phare dans l’obscurité de nos esprits qui nous permettait de ne pas sombrer dans la folie, et je m’y accrochait désespérément, à bouts de forces mentales. Impossible de fuir, impossible d’arrêter tout ça, de penser à autre chose, je ne contrôlais plus rien. J’essayais de vomir mais rien ne venait, je voulais sortir ce poison mais il se cachait au fond de moi bien accroché. J’essayais de l’attraper mentalement mais plus j’essayais d’aller le chercher et plus s’agrippait.
Nous étions des guerriers, partis explorer nos esprits et Manain restait là, pour nous accueillir à notre retour et panser nos blessures.
Je me souviens d’avoir pensé que je n’en valait pas la peine, qu’il avait tellement de gens à guérir, qu’il fallait que je me débrouille seul pour ne pas lui faire perdre son temps.
J’essayais dans mon esprit de l’aider, de tenir la lumière pour lui, et puis je me reperdais et tombais d’épuisement.
C’est devenu un travail d’équipe. Nous étions tous en train de mener un combat et il n’était pas possible de combattre et de se reposer en même temps. Il y a un temps pour se reposer et un temps pour combattre.
Et Manain chantait. Impertubable, faiblissant parfois mais sans jamais s’arrêter. Et je me suis pris à penser à tous ces gens, sauveteurs, médecins, secouristes qui dépensent toute cette énergie pour guérir les autres, leur apporter du réconfort et fournir un espace vers lequel tout le monde peut revenir pour trouver du répit.
Et je me suis dit que je voulais faire pareil. Je voulais créer un espace de sécurité, de réconfort ou quoiqu’il arrive, les gens pourraient toujours venir pour se reposer et s’accorder un répit. Je voulais tenir la lumière moi aussi, et participer à cet effort.
Après ce qui a semblé durer des heures, l’effet s’est estompé, Manain a siffloté un peu puis s’est arrêté.
Tout le monde s’était calmé également, et le silence s’est installé, troublé uniquement par les bruits de la jungle, insectes, oiseaux, grenouilles.




J’étais éreinté, fatigué et j’étais content que le combat soit terminé, j’étais content également d’avoir trouvé cet endroit de réconfort qui m’avait permis de traverser cet enfer sans me sentir seul et abandonné.
Après un moment, Jim a dit « The ceremony is over » et a fait un tour. Je lui ai dit que ça avait été une soirée très violente et il m’a dit que ça l’avait été pour beaucoup de gens.
Le lendemain, pendant la réunion, j’ai expliqué ce que j’avais vécu et j’ai pleuré un peu. Manain m’a dit que la plupart des gens ne passaient qu'un fois par quelque chose comme ça.

3ème Cérémonie :

Environ 2 heures avant la cérémonie, l’appréhension a commencé à monter et au moment de demander la dose d’Ayahuasca, j’ai eu trop peur et j’ai demandé uniquement une moitié.
C’est monté tout doucement et très faiblement. J’ai commencé à m’en vouloir d’en avoir pris si peu. Je savais que je pouvais en redemander mais j’ai eu trop peur.
J’ai eu l’impression que l’Ayahuasca me traitait comme une chochotte également. Les visions n’apparaissaient qu’à moitié. Des êtres bizarres passaient devant moi et faisaient des grimaces, un peu distraits, comme si je n’en valais pas la peine.
J’ai vraiment senti que j’avais passé une opportunité. Je me suis mis un peu en colère de ne pas avoir plus d’attention de l’Ayahuasca et j’ai clairement senti que c’était donnant-donnant. Si je faisais les choses à moitié, je n’aurais que la moitié du résultat.
Et puis j’ai commencé à douter, à me demander si le staff n’était pas en train de voler des trucs dans ma chambre, si tout ça n’était pas en fait qu’une mascarade destinée à plumer les touristes. Petite session de paranoia.
Puis ça s’est calmé et j’ai pu suivre la cérémonie de manière un peu plus lucide, ce qui était intéressant.

A suivre... Licence Creative Commons
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7 commentaires:

  1. tu y es la en ce moment? c'est une expérience intéressante après je me suis toujours demandée si on avait le "droit" de profiter de ces expériences ancestrales qui font parties d'un savoir et de coutumes d'un peuple spécifique... Je t'envie cela dit (un peu seulement parce que il parait que c'est vraimenet immonde comme goût!!!) Bon courage! Et merci de partager!

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  2. Yannick tu as toujours aime les experiences un peu bizarre,
    A suivre dans ton blog . Manu

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    1. C'est pas faux mais là je regrette absolument pas :-)

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  3. Je suis revenu avant d'écrire tout ça. Pour moi la réflexion est la même que pour la médecine chinoise. C'est une manière différente d'avancer et je pense que les chamans sont contents de partager ça avec les occidentaux. Et oui, je confirme que le goût est vraiment pas top :-p

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  4. Salut Yannick
    Je viens de découvrir ton côté écrivain et romancier. Merci pour ce magnifique partage, je suis parti avec toi et vraiment tu m’as transporter avec toi dans la jungle. J’ai vu un film sui raconter ce genre d’expérience. Je ne me souviens plus du titre «  LE DERNIER CHAMAN » un truc du comme ça.
    Encore merci et à bientôt

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