dimanche 9 janvier 2011

Légèreté

Ca a commencé connement. J’étais tranquille dans ma voiture sur une petite route de campagne, en train d’écouter du Finley Quaye quand soudain un gros con m’a doublé en plein virage. Il est arrivé de nulle part et s’est probablement convaincu qu’il pourrait, grâce au puissant moteur de sa Mercedes, me dépasser en un rien de temps, qu’il y avait peu de chance qu’un autre gros con arrive en face avec un véhicule suffisamment performant pour sembler lui aussi sortir de nulle part et que je n’aurais probablement pas les couilles de le pousser dans le fossé. Hé ben, il s’est pas trompé, ce gros con.
Mais le truc le plus étonnant dans tout ça, a été ma réaction. En temps normal, j’aurais probablement hurlé, tapé du poing sur le volant, klaxonné mais là non. Je sais pas si c’était la conjonction soleil, musique tranquille et vacances mais je suis resté calme.
Et je l’ai pardonné.

Et là, je me suis soudain senti léger, très léger, comme si un poids venait d’être soulevé de mes épaules. J’ai vite fait le rapprochement et j’ai décidé de retenter l’expérience. En arrivant au boulot, je me suis enfermé dans les chiottes et j’ai fermé les yeux. J’ai pris le premier truc qui venait : le voisin qui fait chier son chien dans ma pelouse au moins une fois par semaine, histoire de me laisser une petite surprise quand je tonds. J’ai pris sur moi, je l’ai pardonné et j’ai laissé tout ça partir. Et, bon, ça va vous paraître con mais j’ai tiré la chasse dessus et là, rebelote, je me suis senti tout léger…

C’est devenu comme une drogue, j’ai commencé par pardonner aux camarades d’école qui se moquaient de moi, un petit peu chaque jour, en cachette, dans les toilettes, sans rien dire à personne, je voulais pas passer pour une tarlouze. Puis j’ai pardonné à mes ex. Et il m’en fallait de plus en plus, je pouvais plus m’arrêter. J’ai pardonné à mes parents tout ce que j’avais pu leur reprocher pendant toutes ces années, à mes profs, à mes différents patrons, tout ça petite dose par petite dose, savourant cette légèreté soudaine qui m’envahissait dès que je laissais s’envoler tous ces sentiments néfastes à leur égard. Puis j’ai pardonné à ma femme, d’abord le passé, puis au jour le jour. Je ne m’étais pas rendu compte que j’en étais venu à lui reprocher tant de choses, toutes ces petites manies qui me faisait rire au début…

Et puis, au bout de quelques semaines, je me suis retrouvé sans rien. Plus rien à pardonner à personne, j’avais les mains qui tremblaient, un sentiment de vide qui me bouffait l’estomac.
C’est là que je me suis mis à regarder la télé, les infos, les documentaires sur la guerre, tous ces trucs qui vous foutent une boule au bide et vous font vous demander s’il vaudrait pas mieux se tirer une balle que de vivre dans un monde pareil. Bon ça a pas été facile, mais là aussi j’ai pardonné, il m’a fallut faire un gros effort pour pas juger, essayer de les comprendre, tous. Les politiciens, les militaires, les tortionnaires, les assassins, tous ceux qu’on vous pousse à haïr par le biais du petit écran mais j’y suis arrivé. Jusqu’au bout.

Et encore une fois, il ne me restait plus rien. J’ai bien essayé de pousser les gens à me faire du mal mais ça marchait pas, quand je les poussais trop à bout, ça devenait de ma faute et j’arrivais pas à leur en vouloir pour pouvoir les haïr et ensuite leur pardonner.

J’étais comme un con. Plus moyen de trouver qui que ce soit qui me pourrisse la vie et j’étais toujours pas satisfait…
C’est là que j’ai eu l’idée : je me suis pardonné à moi-même. Je me suis repassé toutes les conneries que j’avais fait, toutes celles que j’avais dit et, peu à peu, j’ai fait la paix avec moi-même.
Ca a été comme un orgasme, un bouquet final, l’apogée de plusieurs semaines de masturbation intellectuelle. Le poids qui pesait sur mes épaules a disparu, la culpabilité, le ressentiment et mon mal de dos par la même occasion. Ca m’a tellement fait de bien que j’ai hurlé ma joie. Dans les chiottes. Au boulot. Et tout l’étage m’a entendu. Mais ça aussi je me le suis pardonné…
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